Une maladie Française ?

 

« Je vais vous parler du plus froid de tous les monstres froids, je vais vous parler de l'État. ».

 

F: Nietzsche*.

 

Rassurez vous ce n'est pas des élections présidentielles... quoique l'on puisse se demander si les maux de notre république ne sont pas ceux mêmes de nos fédérations...

 

Épuisement du politique, bipartisme imprécateur, non renouvellement des élites et surtout coupure ressentie et (mal) vécue par la population entre gouvernés et gouvernants.

 

Ce qui est évident pour tous est qu'à l'heure où ont péri les idéologies, il ne nous reste qu'à choisir entre les boursouflures égotiques de candidats issus d'un système de castes dans lequel la seule chose qui puisse vraiment changer est la couleur d'un tailleur ou d'une cravate tant est avérée leur incapacité à exercer un pouvoir qu'ils n'ont pas; personne ne pouvant décréter la fin du chômage, de l'exclusion, l'interdiction de la pauvreté ou le bannissement du cancer...

 

Mon propos se limite à proposer et provoquer une réflexion sur nos structures. D'une part leur relation à l'État, d'autre part leur relation et leur adaptation aux besoins des pratiquants. Il ne vise absolument personne en particulier. Que la personne la mieux intentionnée soit demain à la tête de l'une ou de l'autre fédération n'y pourrait fondamentalement rien changer. La transmission de l'enseignement et l'autorité qui en découle sont d'une nature totalement différente et n'ont pas à être traitées ici.

 

Dans le petit monde qui nous concerne ici, nous avons nos deux fédérations dirigées par d'inamovibles éléphants qui entretiennent le mythe d'une pseudo-incompatibilité entre deux systèmes qui auraient des valeurs opposées et irréconciliables, c'est à pleurer !

 

Quelle difficulté pourrait-il y avoir à faire cohabiter deux fédérations de 30.000 membres soit la population d'une petite ville quand en Europe cohabitent : la social-démocratie baltique, la république monarchique française, le Royaume d'Espagne qui est en pratique une république fédérale et les systèmes de transition post-communiste de l'est européen?

 

Ne nous rêvons pas plus importants que nous ne le sommes... La seule fonction de la structure dirigeante, État ou fédération devrait être d'assurer le lien social et le fonctionnement d'une société qui ne peut être réduite à la somme de ses parties ni à la somme des libertés individuelles. Il n'est point besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'une société purement anarchique – Je ne parle pas ici de l'utopie Bakouninienne si sympathique soit-elle – ne peut tout simplement pas fonctionner ni même exister, il faut bien construire des routes.

 

Si l'État est nécessaire au bien commun rien n'implique en revanche que l'État soit en mesure de l'assurer.

 

L'État souffre en effet de deux pathologies inhérentes à sa nature.

 

La première est la maladie du pouvoir. Le spectacle de nos ex candidats est suffisamment édifiant à ce sujet... Le pouvoir est une drogue dure et il faudrait être un saint pour y rester insensible. En règle générale les saints ne sont pas chef d'État et les drogués ne poursuivent que l'ombre de leurs rêves. .. Gandhi ? Accordons lui le bénéfice du doute...

 

Ce qui veut dire que ceux qui parviennent au pouvoir et l'exercent ne sont par définition que les plus arrivistes des mégalomanes ce qui n'est pas en soi très rassurant. Il faut bien que quelqu'un gouverne et eux seuls le désirent. Remarquons simplement au passage qu'un système héréditaire comme celui de l'Aïkikaï ne fonctionne ni mieux ni plus mal... Entendons nous bien, je ne prône en aucune manière des présidents héréditaires!

 

La seconde pathologie est une forme de cancer, le cancer étatique. l'État dont le rôle est originellement d'organiser la société et de la réguler s'auto-investit de pouvoirs de contrôle sur l'individu qui vont chaque jour grandissant. Peu importe que la maladie soit chronique comme dans nos démocraties occidentales; Patriot Act aux USA, caméras dans les rues et les campagnes d'Angleterre, durcissement constant de lois régissant l'immigration en France, tous pays ayant la réputation d'être farouchement attachés aux libertés individuelles... Laissons là les formes fulminantes de la maladie... Lénine, Hitler, Mao, Staline, Pol Pot, Amin Dada, Caligula... Il n'en est pas moins évident que l'État (ou la structure dirigeante, peu importe) qui devrait être et n'être que le jardinier du terrain social dont il a la charge, plutôt que d'en assurer le développement harmonieux en redistribuant et équilibrant (il faut bien apporter un peu d'eau ici et d'engrais là, traiter ce rosier...) finit à trop vouloir contrôler par bloquer le développement de la société.

 

« Aucune société démocratique ne peut... consentir à une croissance indéfinie de l'État au détriment de la liberté, de l'initiative et même du civisme de ses membres » F. Furet**.

 

Le cancer des structures, comme les maladies virales porte sa propre destruction programmée inéluctablement. La structure qui étouffe son substrat en meurt. Le meilleur exemple nous en est fourni par l'ex régime marxiste-léniniste d'URSS.

 

Qu'il soit clair que c'est ici des structures fédérales dont je veux surtout parler. Elles sont depuis des années entrées dans la phase chronique et bientôt terminale de l'auto-étouffement. Nos dirigeants ne sont pas en cause car ce mécanisme a sa propre dynamique sur laquelle ils n'exercent quoiqu'ils en aient, plus aucun contrôle. Un pétrolier n'est pas taillé pour la régate mais il est soumis aux lois de la physique. Une fois lancé son inertie est telle qu'il ne peut sortir de sa route pour éviter une collision. Le monstre est en liberté!

 

Le problème est commun aux deux fédérations. Il suffit de parcourir les forums pour s'en persuader.

 

Nous n'organisons pas de compétitions, ceci devrait déjà nous dispenser d'un appareil lourd et coûteux. Seule la soif de pouvoir peut empêcher d'organiser de concert des passages de grades car contrôler l'attribution des grades permet, dans une certaine mesure, de se constituer et de s'assurer des clientèles de redevables. Je ne crois d'ailleurs pas que les grades soient vraiment nécessaires en Aïkido, je pencherais pour un retour à l'ancien système de certificats d'enseignement. Que vient faire l'État dans l'attribution des grades d'aïkido? Beaucoup d'autres disciplines se passent fort bien de son ingérence.

 

N'est-ce pas là un abus de pouvoir caractérisé?

 

L'État contrôle les grades, les diplômes d'enseignement, les statuts et les règlements intérieurs des fédérations qui à leur tour contrôlent (et imposent) ceux des clubs, dans un pays où le droit d'association est un droit fondamental depuis la Révolution !!!! Et l'on se moquait de l'URSS !

 

Si l'on vit la pratique de l'aïkido comme une démarche spirituelle de libération, la réponse est évidente: toute intervention de l'État n'est que tentative de main mise totalitaire et bureaucratique.

 

La bureaucratie n'est pas seulement un outil de gouvernement autoritaire, c'est aussi et de manière plus inquiétante, une mentalité. Le bureaucratisme nous emprisonne plus sûrement que toutes les geôles. Nous trouvons aujourd'hui normal l'existence de brevets d'État, de dan d'État etc...

 

Ayant renoncé à notre liberté nous nous réjouissons d'être esclaves. Les ayant forgés, nous adorons les instruments de notre assujettissement. Avons nous vraiment besoin que l'État se mêle de tous les aspects de notre vie ou de notre pratique même si elle n'est que de loisir ?

 

Si Mao n'était pas le plus grand criminel de l'histoire et si j'en ignorais le contexte de récupération du pouvoir, je lui emprunterais volontiers le mot d'ordre de l'ironiquement nommée Révolution Culturelle : « Feu sur les état-majors! ».

 

Les luttes entre fédérations ne sont que des luttes d'appareils qui ne concernent en rien les pratiquants car ceux-ci, ne l'oublions pas ne sont jamais amenés à voter. Dans l'appareil fédéral les clubs votent, mais pas les pratiquants dont l'avis, non éclairé sans doute, n'intéresse personne. Ainsi la structure bureaucratique est-elle assurée de se perpétuer, le plus drôle, si j'ose dire, est que cette farce est non seulement organisée mais encore imposée par l'État et ses règlements types!

 

Voilà où mène le bureaucratisme!

 

Quand deux structures bureaucratiques se trouvent en compétition chacune rêve tout naturellement à absorber l'autre pour assouvir sa volonté de puissance totalitaire. Si les forces en présence sont du même ordre, la fusion n'intéresse plus personne, seul règne l'attentisme, le temps fera la différence... Évitons les coups! Ne fâchons pas le Ministère! De guerre il n'est pas question car ces structures bureaucratiques ne sont pas suicidaires. Il suffit d'évoquer... L'union... les valeurs supérieures de l'aïkido...

 

Je me risque donc à jouer les petits Nostradamus. Entre nos deux fédérations nous sommes condamnés à ce qu'il ne se passe rien avant que le temps n'ait joué en faveur de l'une ou de l'autre suffisamment pour que l'absorption se fasse sans heurt, automatiquement... Il y aura des mécontents qui ne retrouveront pas leurs places... Il y a bien encore des communistes en Russie!

 

Avons nous seulement la capacité de sortir du système, de nous extirper de ce piège? En France, il est probablement déjà trop tard. Il faudrait pouvoir (et d'abord vouloir) se libérer de la tutelle de l'État or je doute que cette volonté existe. Les intérêts de l'État et des fédérations sont déjà trop inextricablement mêlés. Il eut peut être fallu, il y a quarante ans, quand l'aïkido s'organisait, choisir une autre voie que celle de l'inféodation à l'État... Mais ce sont là regrets inutiles et ce choix ancien est plus probablement dû à la mentalité française qu'à la volonté d'une personne...

 

Si la malédiction politique est universelle, la malédiction bureaucratique ne l'est pas. Elle est spécifiquement française ou russe. L'Italie forme un monde à part, celui de la bureaucrato-anarchie.

 

Reste à se demander si nous avons la capacité de penser l'organisation suivant d'autres schémas plus adaptés à nos besoins et non copiés sur des modèles préexistants dont la pesanteur nous étouffe.

 

Terminons sur une note d'espoir...

 

Je voyage beaucoup en qualité d'enseignant d'aïkido. La situation est désespérante, partout où je me rends, la politique de l'aïkido empoisonne la pratique de l'aïkido, l'enferme dans des carcans. Je connais toutefois UNE association allemande assez importante, la BDAL(1), qui repose, au moins pour ce que j'en sais, sur des principes de légèreté, souplesse, tolérance et adaptabilité. Elle fonctionne me semble-t-il en réseau, un peu sur le modèle d'internet où tous les éléments sont à la fois indépendants et interdépendants et où l'on n'impose rien. Dans un tel système, bien que chaque chapelle ait ses inquisiteurs et ses talibans, ils sont par nécessité condamnés aux marges... et c'est tant mieux!

 

Peut être suis-je victime d'une illusion ?

 

la BDAL respecte l'autonomie des différents courants qui la composent et n'a donc pas de fonction normative, elle s'oppose en cela à la tradition bureaucratique, la structure elle-même est un lieu d'échange d'informations, autonomie de fonctionnement ne signifiant pas ici fragmentation, ignorance ou antagonisme. Les éléments communiquent entre eux. L'autorité administrative qui s'exerce de haut en bas à l'intérieur d'un cadre strict en France n'existe tout simplement pas. Les échanges sont horizontaux et s'organisent suivant les besoins, ceux par exemple d'un stage local où il suffit de se consulter entre voisins, n'étant pas ceux d'un stage international où les consultations devraient s'étendre aux pays voisins sans que ceux-ci soient nécessairement membres de la même organisation. Nous oublions trop vite que les Belges, les Luxembourgeois et les Anglais pour ne citer qu'eux sont souvent plus proches de Paris que les Marseillais qui sont à leur tour plus proches de Barcelone ou de Milan. A-t-on jamais consulté nos amis Belges (tous les Belges) quand à l'organisation d'un stage important à Paris ? A-t-on seulement pris la peine de les informer ?

 

Une organisation(2) fondée sur des principes similaires a vu le jour en Italie, souhaitons lui longue vie et une capacité de résistance élevée à l'anarcho-bureaucratisme!

 

"Une société bien faite serait celle où l'État n'aurait qu'une action négative de l'ordre du gouvernail : une légère pression au moment opportun pour compenser un commencement de déséquilibre." Non, ce n'est pas de moi, c'est de Simone Weil qui n'était pas, loin s'en faut, une dangereuse excitée. (cité par Simon Leys dans un petit ouvrage délicieux : "Les idées des autres").

 

Comprenons nous bien : aucune organisation horizontale, verticale ou en réseau ne fera disparaître les rivalités de personnes ou de groupes qui sont inhérentes à la nature humaine et que l'aïkido ne peut prétendre masquer. L'harmonie n'est pas le fait du débutant et bien souvent échappe encore au maître...

 

Que l'on nous préserve seulement de ceux qui veulent organiser notre bonheur.

 

Mais par qui sommes nous condamnés à nous vêtir d'armures pour aller danser ?

 

Stéphane Benedetti

 

*Zarathoustra **Penser le XXe siécle ,Collection Bouquins. Un livre fascinant!

 

(1)BDAL - Bundesverband der Aikido-Lehrer, ex-Bundesverband der Aikido-Schulen (BDAS), www.bdas.de/

 

(2) AIKIDO ITALIA, www.ai-aikidoitalia.it

 

Comme vous êtes plusieurs +a avoir proposé la même correction, je vous propose l'opinion d'Emile Littré sur le sujet.

 

Rêver est suivi de la préposition de quand il s'agit de rêve : J'ai rêvé de vous toute la nuit ; de la préposition à quand il s'agit de méditation : J'ai rêvé to